Au Jour le Jour
Une traduction de la « Walkyrie »
Alfred Ernst a entrepris une nouvelle adaptation à notre scène du drame wagnérien. Sa traduction de la Walkyrie, qui vient de paraître, dénote une forte dépense d’énergie, de science et de talent. En toute justice, attirons sur son œuvre l’attention du grand public.
Ernst est un brave. Nulle besogne plus décevante que de traduire Wagner. Il faut se résigner à n’être compris et encouragé que par une élite de compositeurs et de critiques, par ceux qui savent leur métier et – un peu d’allemand ; ils sont rares. On s’expose ensuite à être dévoré tout cru par ses devanciers ou ses rivaux. Les traducteurs wagnériens sont, hélas ! des hommes et, comme tels, convaincus de leur mérite exclusif. Les polémiques que suscita cet hiver une nouvelle version des Maîtres Chanteurs, aux Concerts d’Harcourt, ont prouvé une fois de plus combien les artistes se soucient peu de l’art quand leur vanité ou leur coffre-fort sont en jeu.
Bien que je n’aie pas l’honneur de connaître M. Ernst, je présume qu’il se console de ces petits désagréments. La préface de sa plaquette ne reflète qu’une inquiétude, très artistique : est-il parvenu, comme il s’y est acharné, à nous donner une bonne traduction ? Là est toute la question, et l’on n’en devrait pas sortir quand on s’empoigne sur les textes du grand musicien.
La version de M. Ernst a un avantage indéniable sur celles déjà parues ; elle ne modifie pas le texte musical et respecte néanmoins l’accent dramatique et les lois de la prosodie. C’est une traduction mot pour mot, mot pour note, d’une exactitude presque absolue ; un vrai travail de bénédictin. Au point de vue purement musical, je la crois la perfection.
Mais la musique n’est pas tout dans le drame wagnérien et M. Ernst lui-même l’a dit souvent et bien. La littérature de Wagner, bien qu’inséparable de la musique et du décor, a une valeur intrinsèque caractéristique et par sa grammaire et par sa syntaxe et d’abord par l’ardente poésie qui la vivifie.
Je ne reprocherai pas au traducteur d’avoir renoncé à des recherches de mots synthétiques et d’allitérations contraires au génie de notre langue, mais je lui en veux de ne pas avoir fait passer dans sa prose le souffle épique des périodes wagnériennes. Certains morceaux, tel le chant d’amour de Siegmund au premier acte, sont cependant traduits à souhait. Pourquoi tout n’est-il pas à l’avenant, pourquoi trouve-t-on çà et là des gaucheries, des obscurités ou de simples barbarismes ?
Je ne sais qu’une traduction de Wagner qui m’ait donné le frisson de Bayreuth ; le magnifique Parsifal de Mme Judith Gautier. Malheureusement, l’auteur ne s’y préoccupe pas des exigences prosodiques et, pour chanter son texte, il faudrait bouleverser la partition.
Les traducteurs wagnériens tournent dans un cercle vicieux. Ou ils font œuvre littéraire et se heurtent aux obstacles de la déclamation musicale, ou ils surmontent ces obstacles au détriment de la forme poétique. Trop souvent aussi ils saccagent poésie et musique. C’est le cas de M. Nuitter et même de M. Wilder, qui fut un critique de beaucoup de talent, non un traducteur, encore moins un poète.
Pour une version idéale du drame wagnérien, qui réunirait l’art de Mme Gautier et la science de M. Ernst, il nous faudrait un homme de génie. Nous en verrons éclore un bientôt, je l’espère, dans les couveuses du Conservatoire ; mais il aura mieux à. faire que des traductions.
Ne cherchons donc pas chicane à M. Ernst. Sachons-lui gré dé pouvoir chanter un Wagner non tripatouillé et de comprendre sans le secours du dictionnaire la langue archaïque, abstraite, souvent obscure du maître.
Sa traduction, somme toute, est bien préférable à celles que nous connaissions. Les musiciens doivent le lui dire et l’encourager dans son labeur d’enfer.
Albéric Magnard.