[Paris,l 22.2.[1897]
Mon cher vieux,
Bien souvent, bien tristement ces jours-ci, j’ai pensé à vous, à votre pauvre femme et au petit Jean.
J’aime les enfants. Mais celui-ci m’avait séduit par la douceur vraiment divine de ses yeux et de son visage. Je le vois, toujours en extase devant le violon d’Ysaÿe et ce souvenir garde une netteté singulière.
La mort d’un être aimé est chose affreuse, mais la perte d’un enfant est la plus dure à subir. Ils sont si purs que nous regrettons tout d’eux et qu’aucune réalité n’assombrit leur souvenir. J’ignorais que Gaud et Yves[1] fussent sérieusement malades. Votre inquiétude doit être horrible, mon pauvre ami, et je vous plains, ainsi que votre femme, de tout mon cœur.
Ne craignez pas d’exagérer les précautions antiseptiques. Inondez l’appartement de sublimé, et tâchez de supprimer toute communication entre les deux malades. L’isolement absolu est le meilleur garant de la guérison.
Que puis-je vous dire, mon bon vieux ? Je comprends toute votre douleur, et de toute mon amitié, je vous souhaite le rétablissement rapide de Gaud et Yves. Avec quelle ferveur je prierais pour vous si je croyais à un Dieu secourable ! La vie est rude comme la mort, et je vous embrasse affectueusement.
A. Magnard
[1] Gaud, fille aînée ; Yves, troisième fils de Ropartz.