St-Quay, 10 7bre [1903]
Mon bon vieux,
Septembre s’annonce aussi exécrable qu’août, et ma femme est souffrante, le climat breton ne lui vaut rien.
Nos projets de tourisme dans vos parages me paraissent dans l’eau, dans l’eau de pluie. Je le déplore, car j’ai bien rarement, hélas ! le plaisir de vous voir et d’échanger quelques idées avec vous à l’ombre de votre barbe.
Avez-vous musiqué ce poème de Guérin[1] dont vous m’aviez parlé ? Je serais bien content de gueuler cela. Les œuvres capables de m’intéresser ne sont pas nombreuses, ah ! non, et d’autre part, j’ai tellement remué mon Bach, mon Beethoven et mon Schumann, que je me demande avec terreur si j’aime encore la musique
Quand on a fait le tour des idées, on se sent un peu las. C’est ce qui m’arrive avec ma déplorable aptitude aux idées générales et je voudrais bien vivre ma 39e année dans le XXXe siècle. Malheureusement, pas moyen. Obligé de tourner toujours dans le même cercle jusqu’à l’ultime crevaison.
Avez-vous des tuyaux sur ce qu’on appelle le quatuor nouvel[2], et avez-vous entendu ce nouvel oiseau, la quinte, ou plutôt la quarte de viole ? Il pourrait y avoir du nouveau là pour une oeuvre de musique de chambre.
J’espère que votre femme et vos enfants vont bien. Présentez je vous prie, mes hommages respectueux à Madame Ropartz, et croyez à ma vieille affection.
A. Magnard
[1] Cf. la lettre à G. Ropartz du 1er février 1902.
[2] A. Magnard semble désigner par cette formule la Société d’instruments anciens fondée par H. Casadesus en 1901, comportant un quatuor de Violes auquel était associé un clavecin. Conseillés par C. Saint-Saëns, appuyés par G. Fauré, et d’autres musiciens, H. Casadesus et son ensemble donnèrent des concerts en France et à l’étranger de 1901 à 1959.