[Paris,] 15.1. 1898[1]
Bravo, Monsieur, vous êtes un crâne ! En vous, l’homme vaut l’artiste.
Votre courage est une consolation pour les esprits indépendants. Il y a donc encore des Français qui préfèrent la justice à leur tranquillité, qui ne tremblent pas à l’idée d’une guerre étrangère, qui ne se sont pas aplatis devant ce sinistre hibou de Drumont[2] et ce vieux polichinelle de Rochefort[3].
Marchez ! Vous n’êtes pas seul[4]. On se fera tuer au besoin.
A. Magnard
[1] Cette lettre est datée du jour même où paraît dans l’Aurore l’article : « J’accuse ». Zola y dénonce le récent verdict du Conseil de guerre qui venait d’innocenter Esterhazy pour culpabiliser Dreyfus une deuxième fois. Cet article relance l’affaire devant l’opinion, lui donnant des proportions qu’elle n’avait encore jamais acquises, et constitue le coup d’envoi le plus spectaculaire de la campagne révisionniste des dreyfusards.
[2] Édouard Drumont, le plus célèbre représentant de l’antisémitisme français, auteur d’un violent pamphlet, La France juive (1886), et fondateur en 1892 du journal antisémite La libre parole.
[3] Henri Rochefort (1851-1915), journaliste français qui prit violemment parti dans toutes les grandes querelles de la fin du siècle ; après avoir fait campagne contre l’Empire dans La Lanterne, il soutint la Commune, puis le général Boulanger ; vigoureux dénonciateur des « Chéquards » dans l’affaire Panama, il finit par s’engager du côté des anti-dreyfusards avec sa virulence habituelle.
[4] En février 1898, alors que se déroule le procès Zola, le musicien signera le Manifeste des Intellectuels, protestation contre la violation des formes juridiques au procès de 1894 et contre les mystères entourant l’affaire Esterhazy.