Le chef d’orchestre Félix Mottl

Felix Mottl (1856-1911), était un  chef d’orchestre et compositeur autrichien, très réputé pour ses productions d’opéras, en particulier de Wagner.

C’est lui qui avait assuré la création intégrale des Troyens de Berlioz, dont Magnard avait rendu compte, en plusieurs articles, pour Le Figaro.

Felix Mottl

Au Jour le Jour

FÉLIX MOTTL

Félix Mottl, capellmeister du théâtre grand-ducal de Carlsruhe, dirigera aujourd’hui le Concert Colonne.

Sa venue à Paris nous avait été annoncée dès l’hiver et c’est à la salle d’Harcourt que le public parisien devait faire sa connaissance. M. Colonne, prestidigitateur incomparable, a escamonté le capellmeister à son concurrent de la rue Rochechouart. Les habitués du Châtelet ne s’en plaindront pas et les connaisseurs jugeront la distance qui sépare un de nos plus fameux chefs d’orchestre français d’un des plus fameux chefs d’orchestre allemands.

Pour le gros du public, le chef d’orchestre est un pantin en habit noir, vissé sur une estrade, qui agite les bras avec grâce et recueille, au dernier accord, les acclamations s’adressant à l’auteur.

Pour les artistes et les initiés, le chef d’orchestre est l’âme même de l’exécution. Il coordonne des éléments disparates : voix, instruments, plastique et décoration théâtrales. Il rythme, arrête, reprend, accélère, ralentit la marche des individus et des masses qu’il a mis en mouvement ; il encourage les timides, modère les fougueux, rattrape les égarés et fait passer dans ce monde sonore toute sa sympathie, sinon toute son indifférence pour l’œuvre qu’il dirige. Une pareille tâche exige des dons rares, souvent contradictoires : de la santé et de l’intelligence, de la force et de la souplesse, de la mémoire, de l’énergie et de la douceur, du sang-froid et de l’enthousiasme ; j’oubliais, une connaissance approfondie de la musique et de la partition interprétée : certains chefs d’orchestre ne me pardonneront pas d’avoir réparé l’oubli.

Ces qualités, M. Mottl les possède. Jeune, grand, vigoureux, il a un bras infatigable et la valeur technique aussi bien que son irrésistible entrain lui ont vite conquis les exécutants.

Il parle imparfaitement notre langue, mais sa mimique est si expressive et ses yeux si ardents derrière les vitres du binocle, qu’il suffit à l’instrumentiste de le regarder pour le comprendre. Au reste, notre terminologie musicale est pauvre, et, de chef à exécutants, les choses se sentent mieux qu’elles ne se disent.

Dans un tempérament aussi artistique que celui de M. Mottl les dons naturels tiennent certes une grande place mais il leur a fallu pour se développer un milieu favorable et M. Mottl fut à bonne école. En 1876, après de solides études au Conservatoire, il quitta Vienne, sa ville natale, pour entrer au théâtre de Bayreuth en qualité de répétiteur. Il avait alors vingt ans et l’on imagine avec quelle ardeur il compléta son éducation musicale auprès du roi des chefs d’orchestre, Wagner. En 1880, le grand-duc de Bade lui confia le théâtre de sa capitale, et depuis 1886 il dirige les représentations estivales de Bayreuth au même titre que ses aînés, Hans Richter, de Vienne, et Hermann Levi, de Munich. Ses exécutions de Tristan et Isolde restent justement célèbres.

C’est donc bien un maître musicien qui paraîtra cette après-midi sur la scène du Châtelet et le public peut attendre de lui les traditions, les mouvements, le style même de la musique wagnérienne.

Mottl a d’autres titres à notre attention. La simple politesse ne l’a pas guidé dans la composition d’un programme où Berlioz tient la première place. Il a pour notre maître romantique une admiration qui touche au fanatisme et il propage ardemment ses drames en Allemagne. Il a retiré des cartons de M. Choudens la Prise de Troyes, ce chef-d’œuvre, et a donné en 1890 à Carlsruhe une magnifique exécution intégrale des Troyens. Au mois de novembre dernier, il organisa tout un cycle Berlioz. Benvenuto, Béatrice, la Prise de Troyes, les Troyens à Carthage défilèrent en une semaine sur la scène badoise. Plusieurs capellmeisters ont déjà suivi l’exemple de M. Mottl ; d’autres le suivront et le théâtre de Berlioz sera populaire en Allemagne avant que nous le connaissions à Paris.

La passion de M. Mottl pour Berlioz ne l’empêche pas de goûter nos autres compositeurs. Lorsque, seul représentant de la presse parisienne, j’allais à Carlsruhe entendre la Prise de Troyes, je fus un peu ahuri de me découvrir plus intransigeant qu’un des disciples directs de Wagner. Dans la salle à manger du capellmeister, le buste et les portraits de Berlioz disputaient le rang d’honneur au buste et aux portraits du maître allemand et M. Mottl me confia, après boire, sa déférence pour les partitions de notre aimable musicien Léo Delibes. M. Chabrier, d’autre part, n’a pas oublié que sa Gwendoline triompha à Carlsruhe quatre ans avant d’être jouée à Paris. Il y aura autant de reconnaissance que d’estime artistique dans le succès que remportera tantôt M. Mottl.

Ajouterai-je qu’il est surtout un chef d’orchestre de théâtre, que la musique pure, non dramatique, semble peu l’intéresser, qu’il vénère Liszt, méprise Brahms et n’a pas son pareil pour réduire au piano une partition d’orchestre ? Ajouterai-je encore qu’il est fort aimable dans l’intimité, d’une vivacité et d’une bonne humeur française et que la quantité de portraits de Napoléon 1er que j’ai entrevus chez lui témoignent de son culte pour ce grand chef d’orchestre militaire.

Je me relis. J’ai jeté trop de fleurs au maître viennois. Il est de ceux dont le mérite se passe de louanges.

Albéric Magnard.